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Disparition d'une grande âme

Publié le par Nouvelles du silence


 

Le Point, Publié le 31/05/2012


Le missionnaire jésuite Pierre Ceyrac s'est éteint mercredi en Inde, à l'âge de 98 ans. Réaction de notre journaliste Jérôme Cordelier, auteur d'une biographie qui lui était dédiée.

Pierre Ceyrac en 1984, à Collonges-la-Rouge.

Pierre Ceyrac en 1984, à Collonges-la-Rouge. © DERRICK CEYRAC / AFP

 

Il était frêle comme un peuplier, mais c'est un chêne qui vient de tomber. On ose à peine cette image grandiloquente : il aurait détesté, lui qui refusait continuellement, parfois jusqu'à l'excès, de se mettre en avant. Pourtant, c'est la comparaison qui vient aussitôt à l'esprit en apprenant la mort du père Ceyrac, le 30 mai, dans la quiétude d'un petit matin indien.

Il n'aurait pu espérer meilleur départ, pour "le grand voyage", comme il disait, non sans crainte, tiraillé entre son engagement spirituel absolu et son appétit profond pour la vie - "On ne passe jamais deux fois le chemin de la vie." À 98 ans, après une longue vie d'aventures pleinement dédiée aux autres, le missionnaire jésuite s'est éteint à 5 heures du matin - "sans aucune douleur, détendu, apaisé", témoigne l'un de ceux qui l'ont accompagné -, dans le lit d'un couvent à Chennai (Madras), en Inde du Sud, épicentre de ses engagements. Il sera enterré samedi prochain dans le cimetière qui jouxte Loyola College, le grand collège jésuite de la métropole indienne. Sur cette terre, donc, qu'il avait faite sienne. C'était son souhait le plus cher. Une cérémonie religieuse est prévue à Paris en l'église Saint Sulpice jeudi 14 juin à 18 h 30.

Profondément indien

Car Pierre Ceyrac, s'il restait profondément attaché à sa Corrèze natale, où il est né le 4 février 1914 dans une famille qui donnera un président du patronat français (François) et un homme politique en vue (Charles, maire de Collonges-la-Rouge, fondateur des "Plus beaux villages de France" et mentor corrézien de Jacques Chirac), se sentait profondément indien. Et il souffrait parfois d'être toujours perçu comme "un missionnaire étranger", y compris par certains de ceux qu'il avait formés.

Il avait tout donné à l'Inde, où, novice, il a débarqué en 1937, en suivant l'exemple d'un oncle jésuite devenu "broussard" au coeur de la jungle.

Pierre Ceyrac n'avait jamais quitté la Corrèze lorsqu'il se retrouve, à 23 ans, parachuté en plein milieu du bouillonnement indien, un empire gouverné à l'époque par les Anglais et les maharajahs. Il va vivre la grande histoire de la marche vers l'indépendance. Nommé aumônier des jeunes catholiques, "Father Ceyrac" contribue aux grands chantiers de reconquête lancés par Nehru après l'indépendance. À partir de ce moment-là, il ne cesse de sillonner ce pays, jusqu'à ce que les forces physiques le quittent (à un âge très avancé), à moto (cheveux au vent), au volant d'une vieille 304 bâchée et, le plus souvent, en train, sa passion - il connaissait le plan ferroviaire de l'Inde par coeur, était intarissable sur les gares et pouvait passer des heures à contempler un convoi interminable de wagons de marchandises.

Humanitaire chrétien

Il plonge dans la réalité de l'Inde, au plus près de ce que vivent ces habitants, dans les villages les plus reculés du Tamil Nadu, État où il exerce son magistère. Il a appris le tamoul et le sanskrit, il confronte son catholicisme à l'hindouisme - comme Gandhi, qu'il a connu, fit le chemin inverse avec Jésus-Christ.

Grâce au renfort des étudiants - indiens mais aussi français -, le père Ceyrac bâtit des routes, des maisons, même des villages entiers. Il ouvre des dispensaires pour les plus pauvres, les lépreux, les intouchables (dalits), dont il épouse la cause après une rencontre avec un jésuite indien, le père Anthony Raj. Il crée des villages pour accueillir des milliers d'enfants. Toute sa vie durant, les combats de l'Inde seront les siens. "Je cherche le visage du Seigneur dans le visage des pauvres", avait-il coutume de dire.

Cet humanitaire chrétien s'engage sur tous les fronts. Pendant treize ans, il sert dans les camps de réfugiés cambodgiens, le long de la frontière thaïlandaise - où il rencontre le professeur Alain Deloche, fondateur de La Chaîne de l'espoir, qu'il suivra sur d'autres guerres, en Afghanistan notamment.

"Je ne suis pas intéressant, je ne fais rien", disait souvent le père Ceyrac, qui avait placé sa vie sous les auspices de cette maxime de saint Jean de la Croix : "Tout mon exercice est d'aimer." Grâce à ce viatique, affirmait-il, "en dépit des hauts et des bas, et de toutes nos lassitudes et lâchetés, la vie devient un long magnificat".

                                                                    ***


"Le Saint, ce n'est pas quelqu'un de parfait, ce n'est pas quelqu'un de valeur, c'est quelqu'un qui ne vaut rien, c'est quelqu'un qui n'est rien.
Mais, par ce rien, Dieu passe, comme l'eau d'une source par le vide grand ouvert d'un conduit, pour aller donner aux âmes sa Grâce à boire.
Le Saint est bon conducteur de Dieu."
(Marie Noël, Notes intimes)


                                                              L'association Père Ceyrac
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