Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La tragédie harkie

Publié le par Nouvelles du silence

" On parle souvent des "harkis". On en connaît mal les réalités.
Tordons d'abord le cou à un mythe, véhiculé depuis des décennies : ces Algériens se seraient
engagés dans les "harkas" (unité de supplétifs) au nom d'une défense de l'Algérie française.
La plupart ont d'abord réagi aux violences des maquisards de l'ALN (Armée de libération
nationale), ont cherché à protéger leur famille, et, surtout, l'armée française est venue les
recruter, à partir de la fin de l'année 1958, en brandissant justement la menace du FLN.
L'alternative était simple : l'armée ou le cercueil.
À cette date-là, le général de Gaulle vient d'accéder au pouvoir et il refuse que les appelés
français (passés de 170 000 à 450 000 de 1956 à 1957) soient si largement mis à contribution.
L'armée française, jusque-là, se méfiait des unités algériennes au sein de ses effectifs, mais
elle n'a désormais plus le choix. Elle reprend ainsi, comme l'explique très bien Benjamin
Stora, une tradition de l'histoire militaire française en Afrique, qui, depuis la conquête en
1830, a recours à des supplétifs "à des fins de surveillance, de ravitaillement, de traduction et
pour mieux connaître les moeurs des autochtones".

Désarmés
En 1959, c'est donc le plan Challe de guerre à outrance contre le FLN-ALN : le général Challe
déclare avoir besoin de 60 000 harkis, mot qui va abusivement désigner tout auxiliaire
algérien de l'armée française. Ce chiffre, d'après l'historien Gilles Manceron, qui cite Alain de
Boissieu, le chef de cabinet de De Gaulle, fut jugé excessif par le chef de l'État, qui aurait
demandé qu'on en engage seulement 25 000. Mais fin 1961, on atteint bien un chiffre de 60
000 harkis, essentiellement des ruraux, dans l'armée française. Dès la fin de cette année-là,
avec la perspective de l'indépendance, une bonne partie de ces supplétifs rejoignent les
maquis de l'ALN. Ils ne sont plus que 12 000 en avril 1962, qui retournent alors jusqu'à juillet
dans leurs villages, en espérant trouver une place dans l'Algérie nouvelle. Mais l'armée
française, qui leur devait protection, les a désarmés sur ordre du gouvernement français,
craignant qu'ils n'aillent grossir les rangs de l'OAS, ultras de l'Algérie française. La France
tourne la page et ne veut plus entendre parler de ces harkis et de leur avenir.
Vulnérables, livrés à la vindicte publique - certains ont participé aux commandos de chasse et
aux fameux DOP (Détachements opérationnels de protection) qui ont pratiqué les
interrogatoires en recourant à la torture -, ils sont lynchés, assassinés avec leurs familles.
Leurs meurtriers, encouragés par les cadres du FLN-ALN, agissent avec d'autant plus de zèle
qu'ils veulent affirmer leur autorité nouvelle. Les harkis et leurs familles deviennent les boucs
émissaires. Le bilan oscille entre 25 000 et 80 000 morts, soit plus que le nombre total de
militaires français tués pendant les huit années de guerre (25 000). Les femmes sont victimes
de viols collectifs. Les harkis continueront à mourir jusqu'en 1969, condamnés à des travaux
forcés : on les oblige ainsi à déminer les champs dans des conditions inhumaines.

Ghettos
Plus de 42 000 harkis prennent la fuite en France. Certains sont aidés par des éléments des
SAS (Sections administratives spécialisées), mais le gouvernement français donne des
directives administratives pour décourager leur installation sur le sol hexagonal.
Contrairement aux pieds-noirs, pour qui un important plan de construction de logements
sociaux est mis en place en un an, les harkis sont conduits dans des camps d'accueil séparés.
Le décret du 8 août 1962 crée des camps de transit, des cités d'accueil et des hameaux
forestiers. Ils sont d'abord logés dans des conditions plus qu'éprouvantes dans les camps du
Larzac et de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), puis déplacés à l'hiver 62 à Rivesaltes, près de
Perpignan, camp de sinistre mémoire ouvert pour les républicains espagnols, et à Saint-
Maurice l'Ardoise (Gard), qui ne fermera qu'en 1976, suite à des émeutes à l'été 75.
Dans ces deux seuls lieux, ils sont près de 15 000 accueillis dans un contexte parfois hostile,
surtout à Rivesaltes. Les harkis sont traités comme des sous-citoyens : comme l'explique
Yann Scioldo-Zürcher, la circulaire Missoffe (un ministre aux Rapatriés) datée du 31 janvier
1964 demande aux bailleurs HLM de reloger les "harkis rapatriés " seulement après que les
demandes des Français d'Algérie ont été satisfaites. On les ghettoïse, en les concentrant dans
les nouvelles ZUP ou dans les foyers de travailleurs. La première loi d'indemnisation des
réfugiés de 1970 les oublie largement.


Dernier geste
Sans porte-parole politique, longtemps fuis par la gauche, qui n'a vu en eux que des
"collaborateurs" proches de l'OAS, ou qui citaient leur participation dans la répression
policière parisienne contre le FLN, c'est très tard, à partir des années 80, qu'ils font entendre
leur voix avec des livres et des films de témoignages. En 2001, le 25 septembre est retenu
comme journée d'hommage aux harkis. Mais c'est seulement en 2005, soit 43 ans après leur
arrivée, qu'un ensemble de dispositifs financiers est adopté. Désormais, soutenus par les
pieds-noirs avec qui ils font parfois cause commune, ils attendent un dernier geste de l'État
français, un geste de reconnaissance de sa responsabilité dans leur tragédie."

À lire: Les Temps modernes. "Harkis 1962-2012. Les mythes et les faits."

(François Guillaume Lorrain, Le Point du 25/01/2012)

Commenter cet article