L'"excommunication" de Spinoza
Le 27 juillet 1656, Baruch (ou Bento) Spinoza est frappé par un herem, terme que l'on peut traduire par excommunication, qui le maudit pour cause d'hérésie de façon particulièrement violente et, chose rare, définitive. Peu de temps auparavant, un homme aurait même tenté de poignarder Spinoza, qui, blessé, aurait conservé le manteau troué par la lame pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie. Si le fait n'est pas complètement certain, il fait partie de la légende du philosophe.
L'exclusion de Spinoza n'est pas la première crise traversée par la communauté juive d'Amsterdam. Quelques années plus tôt, Uriel da Costa a défié les autorités. Repentant, il a dû subir des peines humiliantes (flagellation publique) pour pouvoir être réintégré. Il réaffirmera cependant ses idées avant de se suicider.
Juan de Prado, ami de Spinoza, sera à son tour exclu de la communauté en 1657.
Il est difficile de savoir avec exactitude quels propos sanctionne le herem, car aucun document ne fait état de la pensée de Spinoza à ce moment précis.
On sait cependant, qu'à cette époque, il fréquente l'école du philosophe républicain et « libertin » Franciscus van den Enden, ouverte en 1652, où il apprend le latin, découvre l'Antiquité, notamment Terence, et les grands penseurs des xvie et xviie siècles, comme Hobbes, Bacon, Grotius, Machiavel. Il côtoie alors des hétérodoxes de toutes confessions, notamment des collégiants comme Serrarius, des érudits lecteurs de Descartes, dont la philosophie exerce sur lui une influence assez profonde.
Il est probable qu'il professe, dès cette époque, qu'il n'y a de Dieu que « philosophiquement compris », que la loi juive n'est pas d'origine divine, et qu'il est nécessaire d'en chercher une meilleure ; de tels propos sont en effet rapportés à l'Inquisition en 1659 par deux Espagnols ayant rencontré Spinoza et Juan de Prado lors d'un séjour à Amsterdam.
Quoi qu'il en soit, Spinoza semble accueillir sans grand déplaisir cette occasion de s'affranchir d'une communauté dont il ne partage plus vraiment les croyances. On ne possède aucune trace d'un quelconque acte de repentance visant à renouer avec elle.
Le texte du herem était d'une violence inouïe. Il fut lu en hébreu le 27 juillet 1656 : «Les Messieurs du Mahamad décidèrent que ledit Spinoza serait exclu et écarté de la nation d'Israël à la suite du herem que nous prononçons en ces termes : A l'aide du jugement des saints et des anges, nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza avec le consentement de toute la sainte communauté en présence de nos saints livres et des six cent treize commandements qui y sont enfermés (...) Qu'il soit maudit le jour, qu'il soit maudit la nuit ; qu'il soit maudit pendant son sommeil et pendant qu'il veille (...) Veuille l'Eternel allumer contre cet homme toute sa colère et déverser contre lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi ; que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais et qu'il plaise à Dieu de le séparer de toutes les tribus d'Israël...»
Le décret d'excommunication,s' achève par cet avertissement : «Sachez que vous ne devez avoir avec Spinoza aucune relation ni écrite ni verbale. Qu'il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l'approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits.»
Bento, Benedictus ou Baruch Spinoza, âgé alors de 23 ans, n'avait encore rien publié. Il ne prendra pas mal l'anathème qui le frappait : «A la bonne heure (...), on ne me force à rien que je n'eusse fait de moi-même si je n'avais craint le scandale. Mais, puisqu'on le veut de la sorte, j'entre avec joie dans le chemin qui m'est ouvert, avec cette consolation que ma sortie sera plus innocente que ne fut celle des premiers Hébreux hors d'Egypte.»
La maison de commerce Bento y Gabriel de Espinosa ne survivra pas. Gabriel (son frère) quitte la Hollande pour les Antilles.
Bento oublie les amandes et les raisins secs. Il n'est pas, contrairement à ce que dit la légende, banni d'Amsterdam. Il déménage du quartier de Vlooienburg, et est hébergé par son maître de latin Franciscus Van den Enden dont la fille Clara Maria est sans doute le seul amour de Spinoza. Il apprend, on ne sait où ni comment, à tailler des lentilles optiques pour lunettes et microscopes, et de cette activité, peu à peu, fait son métier et son gagne-pain; il y obtient même une certaine renommée...
Après la fondation de l’état d’Israël, Ben Gourion alors chef du gouvernement demanda aux hautes instances religieuses la révision du procès de Spinoza. Un nouveau procès eut bien lieu mais sa sentence fut la même que 250 ans plus tôt :
............................ l’excommunication.