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Antisémitisme, deux notes

Publié le par Nouvelles du silence

          
                                                        L'antisémitisme à la française


"L’histoire des juifs de France est constellée de mesures antisémites. En 633, Dagobert Ier leur imposera la conversion, à défaut de quoi ce sera l’exil. En 1144, Louis VII émettra un édit bannissant de France les « juifs relaps », c’est-à-dire qui seraient tombés en hérésie, et plus précisément qui auraient repris la loi de Moïse après avoir reçu le baptême, sous peine de mutilation ou de mort. Sous Louis IX, en 1242, des exemplaires du Talmud seront brûlés en public, place de Grève, à Paris. En 1306, Philippe le Bel expulsera les juifs de France, dans le propos de faire main basse sur leurs biens et restaurer les finances du royaume.
Les épisodes d’antisémitisme virulent ne se comptent pas, comme ils l’ont été durant des siècles partout en Europe. Mais, à partir du XVIIIe siècle, la diversité des communautés juives en France donne aux lois antisémites un caractère spécifique. À cette époque, les juifs de France sont au nombre de 35 000, dont 5 000 sépharades venant d’Espagne ou du Portugal et 30 000 ashkénazes résidant principalement dans l’est du pays.
Le décret du 28 janvier 1790 accorde la nationalité française aux sépharades mais la refuse aux ashkénazes, pourtant installés depuis plus longtemps sur le territoire français, au motif qu’ils ne sont pas assimilés. En 1808, Napoléon émettra un décret qui obligera les commerçants juifs à requérir une patente annuelle, révocable, et à satisfaire à la conscription. Le décret interdira également à tout juif d’émigrer en Alsace, visant ainsi indirectement la communauté ashkénaze. Il ne s’appliquera pas aux juifs de Bordeaux, des Landes et de la Gironde, ces derniers « n’ayant donné lieu à aucune plainte et ne se livrant pas à un trafic illicite ».
Durant la Seconde Guerre mondiale comme durant les dernières années de l’affaire Dreyfus, les communautés juives ont bénéficié de l’aide d’un très grand nombre de citoyens français. Certains d’entre eux ont été reconnus comme Justes parmi les nations, mais beaucoup ont œuvré anonymement, soutenus et appuyés par des institutions catholiques et protestantes.

De nombreuses congrégations religieuses ont caché – et sauvé – des juifs. Ainsi, plus de 70 % des juifs de France (citoyens ou étrangers) ont survécu à la Shoah. Dans les autres pays européens, la proportion est estimée à 33 %.
Voilà une vingtaine d’années qu’un nouvel antisémitisme se développe. Alors que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’en 2006, aucun crime de sang à caractère antisémite n’avait été commis, dix meurtres ont été perpétrés dans les dix années qui ont suivi, parmi lesquels celui d’Ilan Halimi, dû au « gang des barbares », les trois assassinats de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, commis par Mohammed Merah, les quatre morts de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes et celui de Sarah Halimi, à Belleville. Depuis, le meurtre de Mireille Knoll s’est ajouté à la liste.
Dans un rapport rédigé à la demande du ministère de l’Intérieur et remis en 2004, Jean-Christophe Rufin ne voit pas le nouvel antisémitisme comme provenant seulement des immigrés d’Afrique du Nord ou de l’extrême droite. Il y voit une composante « antisioniste radicale », portée par des mouvements d’extrême gauche et d’antimondialisation. Selon une étude récente, 75 % des Français interrogés estiment que le conflit israélo-arabe a un impact négatif sur leur quotidien.

Le 27 novembre 1967, peu après la guerre des Six Jours qui avait vu la victoire éclair d’Israël sur ses voisins arabes, le général de Gaulle tenait une conférence de presse au cours de laquelle il qualifiait les juifs de « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ».

Quelques mois plus tard, dans De Gaulle, Israël et les Juifs, Raymond Aron écrivait :
"Pourquoi le général de Gaulle a-t-il solennellement réhabilité l’antisémitisme ? Afin de se donner le plaisir du scandale ? Pour punir les Israéliens de leur désobéissance et les juifs de leur antigaullisme occasionnel ? Pour interdire solennellement toute velléité de double allégeance ? Pour vendre quelques Mirage de plus aux pays arabes ? Visait-il les États-Unis en frappant les juifs ? Voulait-il soumettre à une nouvelle épreuve l’inconditionnalité de certains de ses fidèles qui ont souffert sous Charles de Gaulle ? Agit-il en descendant de Louis XIV qui ne tolérait pas les protestants ? En héritier des Jacobins qui aimaient tant la liberté qu’ils interdisaient aux citoyens d’éprouver tout autre sentiment ? Je l’ignore."

Dans les faits, le mot de De Gaulle eut peu d’impact. À l’époque, la France avait pour Israël les yeux de Chimène. Aujourd’hui, alors que l’État d’Israël est embourbé dans une politique d’occupation et que le gouvernement français multiplie les signes d’amitié à l’égard d’Israël et de son Premier ministre, l’antisémitisme flambe. C’est donc qu’il y a autre chose. Peut-être faut-il chercher dans l’étude de Jean-Christophe Rufin, vieille désormais de quinze ans, une analyse prémonitoire. Et trouver dans les propos du général De Gaulle un relent prophétique, au vu de la politique de colonisation menée en Cisjordanie par l’État d’Israël."

                                 Metin Arditi, Dictionnaire amoureux de l'esprit français

            

                                                    L'antisémitisme à la Suisse (protestante)


"À la manière de Machiavel, son contemporain qui à Florence conseillait à son prince de viser le résultat sans égard pour les méthodes, Calvin pensait sans doute que, pour servir le Seigneur, tâche seule et unique de sa vie, il n’y avait pas d’excès possible.
Ses commentaires sur les juifs ont une place particulière dans les critiques qu’on lui porte. Il faut le dire, ses idées relèvent de l’obsession antisémite. « J’ai eu de nombreuses conversations avec des juifs : je n’ai jamais vu une once de piété ou une once de vérité ou d’inventivité, non, je n’ai jamais rencontré de sens commun chez aucun juif », dira Calvin. Il est vrai qu’à l’époque Einstein, Fermi, Teller, Oppenheimer et quelques autres ne vivaient pas encore…
Parlant toujours de juifs, Calvin ajoutera : « Leur obstination éperdue et indomptable mérite qu’ils soient oppressés sans mesure ni fin et qu’ils meurent dans leur misère sans la pitié de personne. » La vision d’Auschwitz aurait-elle ravi Calvin ? Je veux croire que non, malgré ces lignes nauséabondes.
Par comparaison à Luther, fondateur de la littérature antijuive avec son brûlot intitulé Des juifs et de leurs mensonges (un traité de 65 000 mots…), Calvin apparaît, sinon comme modéré, du moins comme un théologien concurrent qui veut « rester dans la course réformiste » et ne pas se faire taxer de laxisme à l’égard du « peuple déicide ». Malgré tout, on a beau chercher des explications, il n’y a pas ici de quoi pavoiser."

                                           Metin Arditi, Dictionnaire amoureux de la Suisse

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