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Expo à Paris d'une icône de la "gauche"

Publié le par Nouvelles du silence

 

 

 

Avec sa gueule d'ange et son béret à étoile, l'Argentin Ernesto «Che» Guevara incarne à lui seul la pureté originelle de la révolution cubaine. Son effigie de héros populaire a acquis, depuis une quarantaine d'années, l'aura d'une icône. Quelque 20 millions de personnes, à travers le monde, posséderaient un tee-shirt à l'image du «rebelle éternel», assassiné le 9 octobre 1967 dans un village de Bolivie. La mythologie aurait-elle faussé notre perception de la réalité? Ceux qui l'ont connu aux premières heures de sa fulgurante carrière portent, en tout cas, un autre regard sur le «guérillero romantique». Anciens compagnons d'armes ou victimes, ils brossent le portrait d'un être froid. Brutal. Autoritaire. Et aux mains tachées du sang de nombreux innocents. 

 

Luciano Medina, d'abord. A 81 ans, robuste, volubile et enjoué, il reste ce guajiro (paysan) qu'il fut au temps de la révolution quand il était le facteur personnel de Fidel Castro. Dans la sierra Maestra, en 1957 et 1958, c'est lui qui acheminait les messages du comandante en jefe à travers les lignes ennemies aux autres comandantes: Raúl Castro, Camilo Cienfuegos ou encore Ernesto «Che» Guevara. «C'est simple, je les ai tous connus», lance l'ex-coursier, dont la voix rocailleuse retentit dans le deux-pièces exigu de Miami (Floride) qu'il occupe depuis les années 1970. «Guevara? Il traitait mal les gens. Très mal», insiste Medina. Les deux hommes se sont fréquentés, deux mois durant, en avril-mai 1958, dans le campement de La Otilia, près de Las Minas de Bueycito. «Un jour que je lisais Sélection du Reader's Digest, peinard dans mon hamac, le Che, furieux, m'arrache la revue des mains et s'écrie: "Pas de journaux impérialistes ici! " Mais surtout, il tuait comme on avale un verre d'eau. Avec lui, c'était vite vu, vite réglé. Un matin, vers 9 heures, nous déboulons au Rancho Claro, une petite exploitation de café appartenant à un certain Juan Perez. Aussitôt, le Che accuse le fermier d'être un mouchard à la solde de la dictature de Batista. En réalité, le seul tort de ce pauvre homme était de dire haut et fort qu'il n'adhérait pas à la révolution.» Une heure plus tard, le malheureux caféiculteur est passé par les armes devant sa femme et ses trois enfants de 1, 3 et 4 ans. «Les voisins étaient traumatisés, indignés. Et nous, la troupe, nous étions écoeurés. Avec trois autres compañeros, nous avons ensuite quitté le Che pour rejoindre un autre campement.» A l'image de Juan Perez, 15 «traîtres», «mouchards», ou supposés tels, devaient pareillement être liquidés sur ordre de Guevara, entre 1957 et 1958. Et ce n'était qu'un début. 

Aujourd'hui retraité en Floride, mais autrefois capitaine au sein de la fameuse colonne n° 8, celle de Che Guevara, Eduardo Perez, 71 ans, conserve, lui aussi, un souvenir pour le moins mitigé de son supérieur hiérarchique. Selon cet ex-comptable devenu révolutionnaire, le guérillero argentin se montrait hermétique à l'esprit de camaraderie qui régnait à tous les échelons de l'armée rebelle. Il en veut pour preuve ce récit édifiant: en novembre 1958, le Che envoie 30 de ses hommes, dont Eduardo Perez, en première ligne. Leur mission: tendre une embuscade à l'armée du dictateur Batista, dont une colonne, partie de Fomento, se dirige alors vers le massif de l'Escambray, où se trouve le Che. «Après une minutieuse préparation, nous lançons l'assaut vers 14 heures. Mais, deux heures plus tard, notre position n'est plus tenable en raison de la puissance de feu adverse. Du coup, nous décidons de nous replier d'un kilomètre. Mais, quand le Che a pris connaissance de notre recul, il nous a coupé les vivres!» Une journée passe, sans rien à se mettre sous la dent. Puis deux, puis trois... 

Finalement, après soixante-douze heures de diète forcée, le détachement est à nouveau ravitaillé grâce au commandant Camilo Cienfuegos, qui, venu du nord, passait dans le secteur avec ses hommes pour livrer une cargaison d'armes à Guevara. «Ayant appris notre sort, Camilo nous a fait livrer d'autres rations. Plus tard, il a, paraît-il, sermonné le Che: "Que nos hommes soient tués par ceux de Batista, d'accord; mais qu'ils meurent de faim, non! "» 

Au fond, même si les portraits géants du Che jalonnent leur île, ce sont sans doute les Cubains qui sont les moins sensibles au «charme» de l'icône planétaire de la révolution. Tel est l'avis d'Agustin Alles Sobreron, toujours fringant malgré ses 81 ans et qui rédige, ces jours-ci, ses Mémoires de guerre. En mars 1958, ce journaliste, accompagné d'un photographe, fut le premier reporter cubain à rencontrer, pendant de longs mois, successivement, Che Guevara et Fidel Castro dans la sierra Maestra. Un scoop publié sous la forme d'un article-fleuve dans la prestigieuse revue cubaine Bohemia (aujourd'hui disparue), où le Che s'offusque qu'on lui prête des sympathies communistes: «Je suis un militaire, rien de plus!» 

 

A la Cabaña, il exécute les basses oeuvres du régime

«En arrivant dans le campement du Che, raconte l'ancien reporter, j'ai été frappé par sa remarquable organisation. Le bivouac possédait son propre four à pain, un petit hôpital et un émetteur de la clandestine Radio Rebelde. Tout était beaucoup mieux tenu que chez Fidel... Mais j'ai, aussi, vite remarqué que le Che ne comprenait rien à la mentalité des Cubains. Ils sont blagueurs, conviviaux et, soyons francs, un peu bordéliques; lui était réservé, intériorisé, rigide. Pas vraiment antipathique mais imbu de lui-même et un peu arrogant. En un mot, c'était l'Argentin typique!» 

Quoi qu'il en soit, le 1er janvier 1959, jour du triomphe de la révolution cubaine, Che Guevara est célébré en héros. C'est lui qui, par la prise stratégique de la ville de Santa Clara, située dans le centre du pays, a fait sauter le dernier verrou et ouvert la voie de la victoire vers La Havane (dans l'ouest du pays). Dans la capitale, c'est la liesse. Et pour «el Che», une nouvelle vie commence. Fidel Castro le nomme commandant de la Cabaña, prison qui domine le port de la capitale. Derrière les hauts murs de cette ancienne forteresse coloniale, le guérillero argentin va écrire, au cours de l'année 1959, les pages les plus ténébreuses de la révolution cubaine - et de sa propre histoire. 

Minimisée par de nombreux biographes de Che Guevara, cette période restera pourtant gravée à jamais dans la mémoire collective des Cubains. Tandis que Castro chauffe à blanc la population par ses discours enflammés, Guevara prend en charge les basses oeuvres. Selon Armando Lago, vice-président de l'institut de recherches Cuba Archive, 164 personnes sont envoyées au paredon (peloton d'exécution) de la Cabaña entre le 3 janvier et le 26 novembre, date à laquelle Guevara quitte la carrière pénitentiaire (1). Cette célérité fait de lui le plus grand meurtrier de l'histoire de la révolution cubaine (216 meurtres au total), devancé seulement par Raúl Castro, responsable, directement ou non, de 551 exécutions. Quant à Fidel, sans doute plus calculateur et soucieux de la postérité, il n'a jamais commis l'imprudence de se tacher les mains de sang. 

En ce début d'année 1959, à la Cabaña, où s'entassent 900 détenus, on fusille tous les jours, généralement le soir. Pour partie, les condamnés à la peine capitale sont des membres de la dictature déchue, coupables de crimes avérés. Mais dans le couloir de la mort se trouvent aussi de simples opposants politiques et nombre d'innocents. C'est le cas de l'agent de police Rafael Garcia, 26 ans, de la Section radio-motorisée de La Havane. Accusé, à tort, d'avoir participé à l'assassinat d'un membre du Mouvement du 26 juillet, le parti de Castro, ce simple flic est condamné à mort, le 13 mars, à l'issue d'un simulacre de procès vite expédié. Son exécution est programmée pour le 18. Mais sa famille remue ciel et terre, réunit les preuves de son innocence et produit des témoignages à décharge. Le tribunal, en appel, n'en tient aucun compte. Sergio Garcia, frère du condamné, obtient un rendez-vous avec Che Guevara. «Je lui ai dit: "Regardez le dossier, il y a erreur, vous verrez par vous-même." Alors Guevara m'a regardé et, l'air narquois, il a lâché: "Votre frère est peut-être innocent, mais il portait l'uniforme bleu. Alors il doit mourir." Puis il m'a congédié.» Quarante-huit ans plus tard, dans son appartement du quartier de Little Havana, à Miami, Sergio Garcia tient à lire, à voix haute, la dernière lettre que son frère adressa à sa jeune épouse. La voix est blanche, ses mains tremblantes, ses yeux soudain humides: «Mon amour adoré, ceci est la dernière lettre de ma vie. Nos quatre mois de mariage furent les plus beaux du monde. Je suis fier de ma famille. Je vous aime à la folie. La seule chose qui me peine est que je meurs innocent. Je dois te laisser, mon amour, car je crois qu'ils viennent me chercher. Rendez-vous dans l'autre vie où nous nous retrouverons, ma chérie. Rafael.» 

 

«La révolution exigeait qu'il tue, il tuait»

Témoin clef de cette période, le père Javier Arzuaga, aumônier de la prison de la Cabaña, aura mis près de cinq décennies à rompre le silence. Dans Cuba 1959: La Galera de la Muerte (Cuba 1959. Le couloir de la Mort), publié l'année dernière à Porto Rico, celui qui recueillait les confessions des condamnés et les accompagnait dans leurs derniers instants affirme que des dizaines d'entre eux étaient innocents. «Le Che n'a jamais cherché à dissimuler sa cruauté, souligne-t-il. Bien au contraire. Plus on sollicitait sa compassion, plus il se montrait cruel. Il était complètement dévoué à son utopie. La révolution exigeait qu'il tue, il tuait; elle demandait qu'il mente, il mentait.» A la Cabaña, lorsque les familles rendent visite à leurs proches, Guevara, comble du sadisme, va jusqu'à exiger qu'on les fasse passer devant le mur d'exécution, maculé de sang frais... 

«Je crois qu'en définitive cela lui plaisait de tuer des gens», estime Huber Matos, qui, en qualité de commandante de la revolucion fut l'alter ego du guérillero argentin, avant d'être condamné à vingt ans de cachot, à la fin de 1959, pour avoir dénoncé la dérive autoritaire du mouvement (2). «Au début, dans la sierra Maestra, nous avons noué une amitié qui reposait sur des affinités intellectuelles. Comme lui, j'avais une formation universitaire. Mais, quand j'ai su ce qu'il faisait à la Cabaña, j'ai pris mes distances. Tout le monde savait ce qui se passait là-bas...» 

Par Axel Gyldén, publié le 27/09/2007 l’Express

 

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