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Un grand homme

Publié le par Nouvelles du silence

Pourquoi un homme aussi brillant et ambitieux que François Mitterrand s'est-il entouré, après la Libération, de personnages sulfureux, mouillés dans la collaboration, au risque de compromettre définitivement sa carrière ? Le futur président socialiste de la Ve République a même continué à fréquenter d'anciens responsables de la Cagoule, cette organisation criminelle et fascisante démantelée en 1938. François Gerber, auteur de Mitterrand, entre Cagoule et Francisque, peine à répondre à cette question (*). Est-ce, tout simplement, parce que François Mitterrand éprouvait une réelle fascination pour René Bousquet, l'ancien secrétaire général de la police sous Vichy, impliqué dans la traque des juifs et des résistants, notamment dans la rafle du Vel' d'Hiv' ?

L'écrivain le dit clairement : contrairement à certaines légendes, François Mitterrand n'a jamais appartenu à la Cagoule. Contrairement à son ami d'enfance Jean-Marie Bouvyer, charentais comme lui, inculpé de complicité dans l'assassinat des frères Rosselli, des antifascistes italiens réfugiés en France. Jean-Marie Bouvyer a été recruté en 1941 par le Commissariat général aux questions juives. « En revanche, il est certain que le futur président, à partir de son retour en France en janvier 1942, évolue dans un milieu totalement infiltré par les cagoulards. » Et cela suppose « qu'il ait bénéficié d'un capital confiance qui n'était jamais spontané de la part de ces hommes rompus à la clandestinité », ajoute François Gerber, avocat pénaliste au barreau de Paris.
 

« Des fidélités assumées envers et contre tous »

Les connexions de François Mitterrand étudiant avec l'extrême droite avant-guerre sont connues du grand public, depuis l'ouvrage de Pierre Péan, Une jeunesse française, paru en 1994. Tout comme son passage à Vichy, si longtemps occulté. On savait également qu'il avait été embauché, peu après la Libération, par Eugène Schueller, patron de L'Oréal et ancien financier de la Cagoule, en tant que rédacteur en chef du magazine Votre beauté. En revanche, comment imaginer que ce jeune homme, qui aspire aux plus hautes fonctions de l'État, prenne des risques insensés pour s'entourer d'admirateurs du maréchal Pétain et de fanatiques de la collaboration avec l'Allemagne nazie ? Or François Mitterrand « assume des fidélités envers et contre tous ».

À commencer par le si mystérieux Jean-Paul Martin, haut fonctionnaire de Vichy dont le dossier d'épuration a curieusement « été égaré au cours de ces dernières années ». En septembre 1942, Jean-Paul Martin accepte de distribuer aux Allemands de vraies-fausses cartes d'identité françaises « pour dissimuler des espions à la solde du Reich en zone libre et débusquer les émetteurs radio clandestins qui transmettent régulièrement des messages vers Londres ». Directeur de cabinet de Bousquet, Jean-Paul Martin participe à la déportation des juifs étrangers au printemps et à l'été 1942, puis aux arrestations de juifs français, en zone occupée et en zone libre, au cours des années 1942-1943.    

Nommé ministre de l'Intérieur par Pierre Mendès France en 1954, François Mitterrand choisit Jean-Paul Martin, pourtant exclu de la fonction publique à la Libération, comme directeur adjoint de cabinet. Il sera même fait officier de la Légion d'honneur et commandeur de l'ordre national du mérite ! Présent lors de son enterrement, le président « veillera personnellement à ce que le drapeau tricolore couvre le cercueil ».
 

« Affront »

L'embauche de Jean-Paul Martin n'est pas une simple erreur de « casting ». François Mitterrand va aussi recruter Jacques Saunier, appelé par René Bousquet en 1942 à la sous-direction des Renseignements généraux. Ce collaborateur flirte avec les Brigades spéciales, responsables en 1943 de plus de 1 500 arrestations au sein de la résistance juive et communiste. François Mitterrand, sans sourciller, le nomme chargé de mission en qualité de sous-préfet hors classe.

Dans cette liste des proches collaborateurs du futur président de la République, citons encore Yves Cazeaux et Pierre Saury. Ce dernier, nommé commissaire par René Bousquet, était devenu intendant de police (l'équivalent du préfet) fin 1943 à Lyon. Révoqué de la fonction publique à la Libération, il est pourtant récupéré par François Mitterrand ministre. Ce dernier va même en faire son suppléant comme député dans la Nièvre en 1967.

« Le recours à l'équipe Bousquet, dans les années 1950, reste un affront pour la démocratie renaissante, une injure à la mémoire des déportés et des résistants, un pied de nez aux gaullistes. Pour quelle raison profonde François Mitterrand s'embarrasse-t-il de ces individus ? François Mitterrand avait-il des convictions ? » s'interroge François Gerber, constatant que « François Mitterrand aurait pu choisir Jean Moulin pour modèle, il a préféré René Bousquet ».

(*) L'Archipel, 385 pages.

Publié le 09/10/2016 à 09:40 | Le Point.fr

 

 

 

 

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