Salah Stetié
Le coeur veut marcher, les genoux dormir.
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"Les bras m'en tombent". Métier d'avenir : balayeur de bras.
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L'âme jamais ne rit.
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Remets ton masque pour que je te reconnaisse.
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Chacun, de sa larme secrète, arrose une fleur connue de lui seul.
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Par défaut de nuit, beaucoup de ce qui s'écrit manque de langue. Par défaut de langue, beaucoup de ce qui s'écrit manque de nuit.
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Seul compte ce qui ne compte pas. Principaux perdants : les comptables.
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Mettre un point à la fin d'une phrase évite l'inondation.
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On appelle culture ce qui tire le meilleur parti du désastre. On appelle civilisation une halte entre
deux désastres.
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Pire que le labyrinthe : la ligne droite. Avec le labyrinthe, on ne sait pas. Avec la ligne droite, on
ne sait plus.
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Je pense, donc je nuis.
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J'appelle âme ce qui ne cicatrise pas.
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Histoire : beaucoup de brutes pour rien.
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Pourquoi l'arbre est-t-il si souverain? Parce que seul, parmi tous, il ne se déplace pas et que tout vient à lui pour lui payer tribut.
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"Merci" - "De rien" : seul dialogue imaginable entre la vie et la mort.
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Civilisé veut dire colonisé. La poésie décolonise.
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Ce que tu donnes et qui est refusé revient te trancher la gorge.
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Religion du rideau de fer pour une civilisation de boutiquiers.
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Tous parlent de la mort de Dieu. Personne n'a reçu de faire-part. On attend.
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Longtemps le chant de la haine attend. Puis il chante.
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"Laisser les morts enterrer les morts". L'Evangile a raison : ce qui est mort doit être tué. Parce qu'il n'en finit pas d'être mort. Et, mort, de tuer.
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Le miel des guêpes.
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Le pouvoir vit de la démission du poème.
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Je suis entré par effraction un peu partout. C'était moins détermination que faiblesse des serrures.
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C'est patrie, la couleur.
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Le paysage a du mal à ouvrir la fenêtre.
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Il y a un cheval dans la question. Il y a un cavalier dans la réponse.
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Les pays appartiennent aux forts. Le monde appartient aux faibles.
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Comment écorcher le mot pour y trouver la chose; écorcher la chose pour y trouver la pierre; écorcher la pierre pour y trouver la plante; écorcher la plante pour y trouver le muscle; écorcher le muscle pour y trouver le sang; recueillir tant bien que mal le sang pour y trouver le rien; souffler sur le rien pour y trouver, mal en point et déglingué, mais vivant, le mot; presser le mot pour en extraire le peu de sens?Comment faire tout cela en même temps?
Paul Celan l'a fait.
(Carnets du méditant, extraits)